Ascension
Parallèlement, Miyazaki occupe le rôle d'animateur-clé pour quelques épisodes de Mahôtsukai Sally, avec sa future femme, et pour la série Rainbow sentai Robin. La Reine des Neiges de Lev Atamanov fait ses délices : bel ouvrage, tout plein de grâce et de puissance, né d'une animation russe pertinente et appliquée, le film devient un apprentissage. Miyazaki, sous l'empire du doute et des frustrations, s'interroge. L'animation ne l'embrase plus, son travail ne le satisfait pas. Il veut fuir. L'émotion de la Reine des Neiges s'impose à son esprit. Il fallait cette ardeur nouvelle, cette affirmation. Il en est maintenant plus que jamais pénétré : le crayon peut donner vie.
Après un bref passage sur Himitsu no Akko-chan, il rejoint l'équipe de Nagagatsu o Haita Neko, long-métrage inspiré du Chat Botté de Charles Perrault. Les croquis du félin, dessinés par Miyazaki, s'octroient les faveurs du public : le succès est tel que la Tôei fait de l'animal son emblème. Le film présente le chat botté comme un mousquetaire, combattant dans les situations les plus rocambolesques, les plus agitées, les plus cocasses. Le maître prête main forte sur un autre projet, Soratubu Yûreisen, dans lequel deux enfants rencontrent un vaisseau fantôme et un étrange robot.
Miyazaki a scellé son amour pour Akemi. Fruits de leur union, leurs deux fils naîtront en janvier 1967 et en avril 1969. La famille profite de cet agrandissement pour s'installer à Oizumi-Gekuen, banlieu de Tokyo. Mais le maître travaille toujours : il s'essaie au manga. Avec Sabaku no Tami (« Le Peuple du Désert »), il dilue ses déceptions dans un récit percutant : sa thématique prend forme, les contours toujours un peu indécis. Il aborde la guerre, la laideur humaine, avec un dessin enroulé dans l'influence de Tezuka et d'Horus. Il n'assume pas cette première approche : le manga sera publié sous le pseudonyme Saburo Akitsu, dans la revue Shônen Shôjo Shinbun. En 1970, toute la famille inaugure une nouvelle maison, à Tokorozawa, dans la préfecture de Saitama.
Sabaku no Tami
A Production
Les derniers apports de Miyazaki au sein de la Tôei s'effectueront sur Mûmin, Dôbutsu Takarajima, Alibaba et Sarutobi Ecchan : des oeuvres d'une honnête facture, mais trop mineures peut-être pour capter l'attention. Son départ du studio, exhorté par les démissions d'Ôtsuka et Takahata, lui fait atteindre les studios A Production, en compagnie de son collègue Otabe. La Tôei était un frein écrasant pour toute son imagination : le studio comprimait d'excellentes capacités, meurtrissait un infaillible goût. Désaliéné, il se voit confié quelques épisodes de la première série de Rupan-sansei (Lupin III), avec Takahata. Il peut toucher à la mise en scène. La série est un assemblage espiègle et prestant, mais surtout un étonnant triomphe.
Néanmoins, le maître n'obtiendra pas les droits de Fifi Brindacier, pour lequel il organise un voyage en Suède avec le président de la Tôkyô Movie Shinsha : leurs instances sont repoussées par l'écrivain Astrid Lindgreen. Le projet Yuki no Taiyô sombre lui aussi dans le néant.
Pour Panda Kopanda, Miyazaki fait les ébauches de recherche des personnages, s'attèle au scénario, à la direction graphique, et anime les scènes majeures : Panda est créature énorme caractérisée par un trait naïf. Il imprime sur le fond comme sur la forme son influence dans la conception de Totoro. La suite de son moyen métrage, sous-titrée Amefuri Circus no maki, bénéficera d'une sortie nationale au cinéma. Le récréatif Panda Kopanda se fonde sur les travaux préparatoires de Fifi, et son héroïne en adopte le caractère un peu héroïque et rieur.
C'est peu après les séries Kôya no shônen Isamu et Samurai Giants que Miyazaki abandonne A Production pour rejoindre Zuiyô Pictures, qui deviendra la géante Nippon Animation. Comme éternels compagnons, ses précieux amis,Takahata et Otabe.
Zuiyô Pictures
« Chez les Japonais, le rapport à la Nature et aux esprits fait partie de la tradition. Mais avec l’industrialisation, la relation avec la nature s’est émoussée. C’est avec la série Heidi que Miyazaki et Takahata ont voulu redonner aux enfants l’occasion de regarder la nature avec des yeux neufs. Miyazaki réfléchit à la meilleure façon de vivre dans ce monde. », rappelle Toshi Suzuki, président du Studio Ghibli. Heidi, série populaire de Takahata, propulse les deux hommes. L'animation pour enfants trouve une apothéose. Miyazaki réalise quelques épisodes ; pour l'occasion, il sillonne la Suisse, observe les paysages alpins. Il les animera avec un sens inné du détail, dans toute leur opulence. Les classiques du monde entier voyaient le jour : formidable cycle, incessamment alimenté, abondamment diffusé. Les plus éclatants succès de la littérature enfantine sont couchées sur le celluloïd.
Passage éclair sur Flanders no Inu, voyage en Argentine et en Italie pour 3000 lieues en quête de ma mère, layout de Sôgen no ko Tenguri, animateur-clé pour Rascal, biographie d'un écrivain américain sous les traits d'une série télévisée. Des projets de second ordre où Miyazaki pourtant preuve d'un admirable excès de zèle.
Nouveau déclic : Mirai Shônen Konan. Vingt-six épisodes d'un voyage enlevé, coloré, saisissant. L'histoire et le dessin reposent sur une ligne épurée, efficace, puissante. Déjà, une certaine vision, un certain oeil, une certaine ambiance ; manifestation d'un génie en pleine effervescence, un génie trop contenu et prêt à se déverser. Miyazaki pose les bases de ses réflexion écologiques, psychologiques et philosophiques. Le maître passe en revue ses principales obsessions - peur du cataclysme, amour de la nature, présence de l'aviation – et érige les pilliers de son monde. Il jongle avec tous les rôles, endosse le manteau de réalisateur, celui de dessinateur ; il corrige, efface, modifie, amende et livre une pièce d'excellence. Sa gloire s'affermit, sa manière devient plus intime, plus vraie.
Cette même année, affublé du pseudonyme Tsutomu Teruki, il réalise les épisodes 145 et 155 de Shin Rupan-sansei : parmi eux l'épisode final, furieux et sincère hommage à l'aviation et aux frères Fleischer. L'exécution y est parfaite, si vive et si profuse, bousculée sans excès. Pour soutenir ses amis Takahata et Yoshifumi Kondô, Miyazaki participe aux conception scénique et direction graphique d'Akage no Ann, les quinze premiers épisodes.
Alps no shôjo Heidi - Conan et Lana, les deux héros de la série Mirai Shônen Konan
Tôkyô Movie Shinsha – Telecom Animation Film
Un coup d'éclat se profile : Rupan-sansei : Cagliostro no Shiro. Montagne à gravir, pour établir une confiance avec la Tôkyô Movie. Zenigata, inspecteur de police véhément, le placide et sarcastique Goemon, le barbu burlesque, Jigen. A cette palette de personnages pittoresques viennent se greffer Lupin, bandit élégant et loyal aux grimaces succulentes, et la belle comtesse de Cagliostro, modèle de la future Nausicaä. D'un charme désuet, d'une senteur toute française, d'une prestance et d'une pétillance, le défi se transforme en réussite insolente. Miyazaki adosse le sublime au grotesque avec brio et tact et rend un hommage exquis à Paul Grimault. Steven Spielberg est en stupéfié.
Animateur-clé pour l'épisode 8 de Shin Tetsujin 28 Gô, sur Kaikutsu Zorro, puis sur le film de Space Adventure Cobra, Miyazaki va s'impliquer dans la conception du colossal Little Nemo, projet métissé, mêlant Jean Henri Gaston – Jean Giraud ou Moebius, en fonction de ses humeurs - , Isao Takahata, Osamu Dezaki, Yasuo Ôtsuka, Ray Bradbury, William Hurt... Hélas, il quitte le long-métrage très tôt, comme beaucoup d'autres : la version finale sera médiocre, si amèrement éloignée du pilote de Kondô, court métrage d'une rêverie délicate et lumineuse.
Puis, son dernier réel projet télévisé, Sherlock Holmes. Collaboration entre Tôkyô Movie et la RAI, première chaîne italienne, la série s'offrira six épisodes au rythme endiablé – 3, 4, 5, 6, 10, 11- ceux façonnés par Miyazaki. Les cascades, les cabrioles, les courses-poursuites donnent la cadence à toute une aventure, à des personnages drôles et barriolés, à un déroulement sans erreurs de rythme et de goût. Mais contraint d'abandonner Sherlock Holmes, le maître se soumet au chômage.
Sherlock Holmes vu par Hayao Miyazaki : de l'aviation et des courses-poursuites.